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Bradley Cooper, Cillian Murphy et le mythe de la méthode Stanislavski

Bradley Cooper as Leonard Bernstein and Carey Mulligan as Bernstein’s wife, Felicia Montealegre, in ‘Maestro.’ Jason McDonald/Netflix

Scott Malia, College of the Holy Cross

Cette année, les candidats au titre d’Oscar du meilleur acteur Cillian Murphy – qui a incarné le physicien nucléaire J. Robert Oppenheimer dans le film Oppenheimer – et Bradley Cooper, qui a interprété le rôle de Leonard Bernstein dans le biopic Maestro font beaucoup parler d’eux non seulement pour leurs performances, mais aussi pour la manière dont elles ont été préparées.

Murphy, déjà mince, a perdu environ 10 kilos et s’est mis à fumer de fausses cigarettes pour imiter l’apparence et les habitudes du vrai Oppenheimer. Sa préparation pour le rôle aurait été si intense qu’il s’isolait de l’équipe pendant le tournage du film.

Pendant ce temps, Cooper aurait passé six ans à s’entraîner à l’art de la direction d’orchestre afin de filmer une séquence clé de Maestro. Dans un épisode de décembre 2023 du podcast « SmartLess », la candidate à l’Oscar de la meilleure actrice Carey Mulligan a raconté que Bradley Cooper l’avait appelée et lui avait parlé avec la voix de Leonard Bernstein des années avant le début du tournage de Maestro.

Les reportages sur la préparation des acteurs font souvent référence à la Méthode Stanislavski, une approche psychologique de l’interprétation destinée à rendre le personnage plus réel et plus crédible.

Mais en tant que professeur de théâtre depuis plus de 20 ans, j’ai constaté qu’une grande partie de ce qui est dit ou écrit sur cette méthode perpétue un certain nombre de mythes. Il est parfois difficile de savoir si les acteurs se préparent réellement pour un rôle ou s’ils se contentent de « jouer » voire de surjouer leur préparation pour, les médias et le public.

Les origines de « La méthode »

La méthode Stanislavski – parfois appelée « la Méthode » tout court – dérive du « système », une approche du jeu développée par l’acteur et metteur en scène russe Konstantin Stanislavski, qu’il décrit dans le livre de 1936 La Formation de l’acteur.

Peinture d’un homme d’âge moyen aux cheveux gris
Les techniques de Konstantin Stanislavski ont eu une influence considérable sur la formation des acteurs européens et américains. The Print Collector/Getty Images

Stanislavski demande aux acteurs d’identifier les forces qui motivent leurs personnages. Ce faisant, l’acteur s’efforce d’être dans l’instant avec les autres acteurs, réagissant comme le ferait son personnage dans des circonstances imaginaires.

Marlon Brando a fait connaître cette méthode d’interprétation au grand public. Pour se préparer à son rôle dans C’étaient des hommes, dans lequel il incarne un vétéran paralysé, Brando aurait passé du temps dans un hôpital pour vétérans en fauteuil roulant, sans révéler aux autres patients qu’il n’était en réalité pas handicapé. Pendant le tournage, il serait également resté dans son fauteuil roulant entre les prises.

Au cours des décennies qui ont suivi, la méthode Stanislavski a été associée à des acteurs qui se perdent dans leur personnage, comme Daniel Day-Lewis qui se fait nourrir à la cuillère pour se préparer à son rôle de peintre atteint d’infirmité motrice cérébrale dans My Left Foot (1989).

Des extrêmes ridicules

Malgré tout l’intérêt que ces histoires suscitent, certains des extrêmes auxquels les acteurs se livrent auraient probablement fait rire Stanislavski lui-même.

La pièce La Formation de l’acteur est construite autour d’un cours d’art dramatique fictif dans lequel un professeur – très probablement un double de Stanislavski lui-même – lutte contre les mauvaises habitudes de ses acteurs et leur enseigne les fondements du système.

La plupart des exercices conçus par le professeur ont pour but d’aider les acteurs à imaginer ce qu’ils pourraient faire s’ils se trouvaient dans la même situation que leurs personnages, et non de recréer ces circonstances dans la vie réelle.

En cours de route, le professeur de Stanislavski se moque régulièrement des acteurs qui vont jusqu’à des extrêmes un peu bidon pour atteindre ce qu’ils pensent être l’authenticité.

Tout comme Brando et Day-Lewis qui s’approprient un handicap, l’un des acteurs du livre de Stanislavski adopte des approches racistes ahurissantes, y compris le blackface, alors qu’il se prépare à jouer Othello.

Des décennies plus tard, on retrouve des échos de cette critique dans le travail de Robert Downey Jr, qui se grime en Noir dans une évocation ironique mais néanmoins problématique de la méthode d’interprétation de Stanislavski dans Tonnerre sous les tropiques (2008).

Transformations physiques

Une grande partie du débat autour de celui qui a remporté l’Oscar du meilleur acteur l’an dernier, Brendan Fraser, était lié au fait qu’il portait des prothèses (ce qu’on appelle « fat suit ») pour jouer le rôle de Charlie, un professeur atteint d’obésité morbide, dans The Whale.

Il convient de noter que Cillian Murphy ne se réclame pas de la méthode Stanislavski, pas plus que Day-Lewis. Murphy a refusé de divulguer comment il avait perdu du poids pour son rôle dans Oppenheimer. Pourtant, l’une de ses covedettes, Emily Blunt, a dit à demi-mot que Murphy mangeait une amande par jour pour rester maigre pendant le tournage.

Ce qu’un acteur fait de son corps ne regarde que lui et son médecin ; cependant, il y a des implications médicales et éthiques majeures lorsque la perte et le gain de poids sont considérés comme la preuve d’un engagement discipliné envers son métier.

Stanislavski n’a jamais demandé aux acteurs de prendre du poids ou de suivre un régime draconien pour leurs rôles ; en fait, au début de An Actor Prepares, le professeur d’art dramatique réprimande ses élèves parce qu’ils s’entraînent devant des miroirs et qu’ils se concentrent trop sur leur apparence extérieure. Plus loin dans le livre, le professeur met également en garde contre ce qu’il appelle une approche exhibitionniste du jeu, dans laquelle l’acteur essaie de montrer au public à quel point il travaille dur dans son métier.

« Come at me, bro »

Et puis il y a aussi ces histoires d’acteurs qui taquinent un peu trop leurs partenaires de jeu pour essayer de susciter des réponses authentiques.

Au plus fort du mouvement #MeToo, une histoire concernant le tournage de Kramer contre Kramer (1979) a refait surface. Meryl Streep a rappelé que son partenaire Dustin Hoffman l’avait giflée avant le tournage d’une de leurs scènes afin d’obtenir une réponse de sa part. Ces actes auraient fait partie d’un comportement plus large et de relations tendues entre les deux acteurs pendant le tournage du film.

De même, lors du tournage de Suicide Squad (2016), Jared Leto aurait envoyé des cadeaux à ses coéquipiers de la part de son personnage, le Joker, qui comprenaient des animaux morts et des préservatifs usagés. Leto a tour à tour approuvé et rejeté les histoires concernant ces farces.

Ce genre de facéties n’a rien à voir avec façon dont Stanislavski conçoit le travail avec des partenaires de jeu : selon lui, il s’agit de créer une communion et de s’engager dans une écoute active. Il considérait comme égoïste de contrarier les autres acteurs, que ce soit au service d’une scène ou dans le cadre de leur propre stratégie pour « rester dans le personnage ».

Non, un acteur n’a pas à « se perdre dans son rôle »

Depuis la publication du livre de Stanislavski, un certain nombre d’approches de l’acteur ont émergé qui favorisent le type d’investissement psychologique personnel qui semble brouiller la frontière entre l’acteur et le personnage, notamment celles du professeur d’art dramatique et metteur en scène américain Lee Strasberg.

Cependant, dans le chapitre 8 de La Formation de l’acteur, Stanislavski fait une distinction claire entre ce qui est vrai et réel pour l’acteur et ce qui est vrai et réel pour le personnage qu’il joue. En d’autres termes, il ne souscrivait pas à l’idée qu’un acteur puisse se perdre dans son rôle.

Oui, les médias adorent ce genre d’histoires, qui peuvent démontrer un certain type d’engagement. Mais ils peuvent aussi dépeindre les acteurs comme des artistes trop choyés et prétentieux. Un acteur qui lutte pour payer ses factures n’a pas le luxe, par exemple, d’insister pour que tout le monde s’adresse à lui par le nom de son personnage…

En fait, ces récits sur la méthode d’interprétation peuvent aller dans l’autre sens : une grande partie des louanges entourant le rôle de Ryan Gosling dans Barbie repose sur l’idée qu’un acteur « sérieux » soit prêt à devenir blond, gaffeur et à adopter une approche résolument non méthodique, attitude que l’acteur a embrassé avec effronterie lors de la présentation du film à la presse.

Ainsi, lorsque les Oscars de l’interprétation seront décernés, espérons que les votants auront adhéré aux performances des acteurs, et non pas à un méta-récit sur leur comportement hors écran.The Conversation

Scott Malia, Associate Professor of Theatre, College of the Holy Cross

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

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